Article modifié le 3 mars 2023
Spotify et Deezer sont les initiateurs des services de streaming audio sur abonnement. Ils ont su conquérir des dizaines de millions de clients. Mais aujourd’hui, la menace des Google/Amazon/Facebook/Apple est réelle pour leur marché. Entre les services concurrents et les assistants vocaux, pourquoi Deezer et Spotify sont peut-être en danger ?
Les inventeurs du streaming ne sont plus seuls
Avec leur base de clients qui ne cesse de croitre, on pourrait penser que les pure players du streaming payant sont à l’abri. De plus, leurs services sont largement utilisés sur la plupart des appareils électroniques qui servent à reproduire la musique : smartphone, enceintes sans fil, HiFi maison, TV connectée.
Les géants de l’Internet qui adressent un maximum de pans de notre vie numérique ont décidé de ne pas laisser la musique à d’autres. Même si c’est ce qu’ils avaient fait jusqu’ici, ils sont en train de reprendre la main.
Quelles sont les raisons qui pourraient mener à la disparition des pionniers du streaming payant ?
Les GAFA ont leurs propres services de streaming
Depuis quelques années, Google, Amazon et Apple ont lancé leurs propres services de streaming : Google Play Music, Amazon Music Unlimited et Apple Music.
A la lecture de l’étude MIDiA datée de juin dernier, Spotify conserve toujours le plus grand nombre d’abonnés avec 36% du marché. Tandis qu’Apple et Amazon ont déjà dépassé Deezer.
Amazon atteint 10% du marché, et Apple 17%. C’est bien plus que les 6% de Deezer. Google n’apparaît pas encore dans cette liste. Ce n’est qu’une question de temps.
Facebook est resté à l’écart de ce marché, pour l’instant. Il se concentre sur la façon d’intégrer la musique à sa plateforme, pour que vous ne la quittiez jamais.
Facebook a déjà ajouté Apple Music et Spotify à Messenger, pour partager et écouter la musique directement depuis les conversations avec vos amis.
Le géant des réseaux sociaux investi massivement dans la réalité virtuelle. C’est l’une des autres facettes du réseau social où la musique prendra part : écouter la musique dans l’environnement que l’on visite, la partager avec les amis que l’on rencontre virtuellement, etc.
Facebook pourrait donc devenir une plateforme de distribution musicale importante, même si elle repose sur les services de tiers. Est-ce que cette plateforme sera agnostique, ou bien Facebook signera une exclusivité avec l’un des acteurs majeurs ? Facebook pourrait aussi racheter l’un des pure players.
Les GAFA vendent les appareils pour écouter la musique
Avec leurs propres services de streaming et les appareils qui vont avec pour écouter la musique, Google, Amazon et Apple disposent d’un avantage indéniable par rapport à Deezer et Spotify.
Du côté de Google et d’Amazon, ce sont les assistants vocaux Google Home et Amazon Echo qui font aussi office d’enceinte connectée, et qui permettent de mettre en avant leurs services de streaming. Ecouter de la musique, c’est d’ailleurs l’usage principal d’une enceinte intelligente, comme l’indique cette étude d’Activate.
Par défaut, lorsque l’on demande à l’assistant vocal de jouer de la musique, il va la chercher sur Amazon Music chez Amazon, ou sur Google Play Music chez Google. Rien de plus logique !
Ceux qui ont déjà un abonnement Spotify ou Deezer voudront associer leur compte avec l’assistant vocal, ce qui reste possible. Mais pour ceux qui n’ont pas encore d’abonnement, il est plus tentant et facile de faire confiance au service de musique de la même marque que l’enceinte !
Les assistants vocaux sont donc de véritables tremplins à l’adoption des services musicaux d’Amazon et de Google. Apple va bientôt les rejoindre sur ce créneau avec le HomePod. Cette enceinte connectée proposera bien entendu Apple Music comme service musical par défaut.
Facebook ne produit pas de hardware. Bien que des rumeurs semblent indiquer que Facebook travaillerait sur une enceinte intelligente. Un agent conversationnel sur le même principe que les bots que l’on trouve sur Messenger y serait intégré.
Là encore, quel service des streaming audio serait proposé ? Ou cela sera-t-il l’occasion pour Facebook de rentrer dans ce créneau en rachetant un Deezer ou un Spotify ?
Les GAFA ont des moyens financiers colossaux
Ce n’est un secret pour personne : les services de streaming perdent de l’argent. Et pourtant, les artistes ne sont pas grassement rémunérés. Les coûts liés aux droits et à la plateforme de diffusion absorbent tous les bénéfices et bien plus.
De leur côté, Google, Amazon et Apple font probablement face aux mêmes obstacles. Sauf que leurs moyens financiers et la diversité de leurs activités sont tout autres.
Les GA(F)A ont la possibilités de miser sur l’avenir et de perdre de l’argent sur cette activité. En laissant le temps à l’activité de streaming de se développer, les GAA peuvent continuer à investir, à développer le marketing, à multiplier les abonnés et à en chiper aux concurrents.
C’est un luxe que ne peuvent pas se permettre Spotify et Deezer pour qui le streaming, et ses énormes coûts de fonctionnement difficiles à rentabiliser, est la seule activité à ce jour.
Quelles sont les pistes de survie des pure players ?
Dans cet article, Mark Mulligan de MIDiA déclare : “le streaming est le moteur, ce n’est pas le véhicule“. Les pure players du streaming audio doivent donc se diversifier pour assurer leur survie.
Plusieurs annonces ces derniers mois ou ces dernières semaines montrent que Spotify et Deezer en sont conscients, et qu’ils mettent en place de nouvelles stratégies autour de la musique en général.
Produire leurs propres enceintes connectées
Les acteurs historiques du streaming pourraient à leur tour commercialiser des enceintes connectées, avec ou sans assistant vocal.
Spotify travaille sur une enceinte connectée et a même posté des offres d’emploi ! Celles-ci indiquent que Spotify veut développer un produit qui redéfini totalement l’expérience autour de l’écoute de la musique et des podcasts.
Un produit qui serait la référence d’une nouvelle catégorie, comme la Pebble Watch, l’Amazon Echo, et les Snap Spectacles ont ouvert la voie chacun dans leur domaine.
Nous sommes aujourd’hui à un véritable tournant technologique où les catégories se mélangent. Les assistants vocaux jouent de la musique (Alexa), les enceintes multiroom deviennent des assistants vocaux (Sonos).
C’est plus compliqué pour Spotify, puisque le service est déjà présent dans la plupart des appareils audio, même ceux des concurrents. Il faudra effectivement que l’hypothétique enceinte connectée Spotify soit révolutionnaire pour espérer s’imposer et rebattre les cartes du marché.
Contrairement à son concurrent, Deezer ne semble pas être prêt à se lancer sur la piste du hardware, si l’on en croit les commentaires de Hans-Holger Albrecht, PDG du service.
La musique en qualité haute résolution (Hi-Res)
La haute résolution est un sujet qui fait débat. On a pu s’en rendre compte dans le dernier épisode d’On Refait Le Mac n°273 (Apple Music, Spotify… Le streaming, progrès ou régression ?) où étaient invités PP Garcia et Dominique Blanc-Francard, deux pointures du monde de l’audio dans leurs domaines respectifs.
Les consommateurs se sont habitués à la reproduction audio de faible qualité. Le MP3 a généralisé la musique dématérialisée, mais il en a aussi baissé la qualité. Et dans un deuxième temps, les enceintes Bluetooth, et même multiroom, sont pour la plupart utilisées en monophonie.
La stéréo et la haute résolution apportent plus de plaisir d’écoute, c’est évident, surtout pour ceux qui savent ! Mais il faut éduquer ceux qui n’y sont pas habitués ou qui n’y ont même jamais été confrontés.
Après l’avènement de l’image en haute résolution en 4K/Ultra HD, l’audio haute résolution sera-t-elle la nouvelle révolution ?
La Hi-Res nécessite avant tout une source audio de qualité. Qobuz et TIDAL sont les deux services de streaming sur abonnement qui ont misé clairement sur la haute résolution.
Comme on le voit sur le graphique en début d’article, cela ne leur permet pas d’apparaître dans les services ayant le plus d’abonnés. La haute résolution serait donc un marché de niche dans le monde du streaming.
Deezer a déjà annoncé vouloir intégrer la Hi-Res à travers le format MQA, équivalent à du 24bits/96kHz. Les concurrents un peu plus centrés sur le marché US comme Pandora et Napster ont également annoncé en début d’année le ralliement au MQA.
Si les acteurs principaux comme Spotify et Deezer généralisaient la Hi-Res, cela améliorerait-il leurs marges ? Cela grossirait-il leur base d’abonnés payants ? Pas si sûr.
Surtout quand on sait que la haute résolution s’accompagne d’un abonnement mensuel forcément plus onéreux. Il faut également savoir que tous les appareils audio ne sont pas compatibles avec la haute résolution malheureusement.
Enfin, plus la musique est en haute résolution, plus elle nécessite de bande passante Internet pour pouvoir être lue.
Supprimer les intermédiaires de l’industrie de la musique
Entre l’artiste et l’auditeur, il n’y a normalement qu’un fichier audio. Techniquement, c’est un peu plus compliqué puisqu’il faut mettre ce fichier à disposition de tous les abonnés simultanément.
Mais financièrement, les services de streaming ont une autre piste pour réaliser des économies, mieux rémunérer les artistes et augmenter leurs marges : se passer des producteurs et autres maisons de disques.
Les services de streaming pourraient ainsi devenir éditeurs des artistes qu’ils proposent sur leurs plateformes. Dans le monde de la musique dématérialisée et sur abonnement, il est clair que le métier de producteur à l’ancienne va vite devenir obsolète.
Pour débuter timidement dans ce concept, Spotify vient de lancer le programme Rise avec lequel ils vont pousser quatre artistes chaque trimestre dans quatre styles de musique différents. C’est un début !
Depuis janvier, Deezer Next fait également la promotion d’une poignée d’artistes locaux et internationaux sélectionnés.
Le service Bustle Music encore très peu connu a choisi justement un schéma de rémunération plus intéressant. Il n’y a plus d’intermédiaire, mais attention, on parle là d’artistes non signés, et non pas de grands noms de la musique.
Cela n’enlève en rien à la qualité des oeuvres que l’on peut y trouver bien entendu. Le schéma est simple : Bustle prend 40%, pour couvrir ses frais et se développer, et reverse 60% à l’artiste.
Les plateformes de streaming vont-elles se transformer en maisons de disques virtuelles ? Pourquoi pas !
Le futur du streaming
En résumé, les GAFA ont toutes les cartes en main pour tuer Spotify et Deezer. Ces derniers qui ont été à la fondation du marché ont cependant des pistes à suivre pour se réinventer.
L’industrie de la musique sera chamboulée à termes, quels qu’en soient les vainqueurs et les moyens mis en oeuvre. Je ne doute pas une seconde que Spotify et Deezer travaillent activement à leur évolution pour ne pas se faire manger tout cru par les GAFA.
Mais ce n’est pas parce qu’ils ont les reins solides que ces derniers se reposent sur leur coussin de sécurité. Chez Apple Music aussi, on réfléchi à la suite.
Jimmy Lovine, ancien producteur et maintenant PDG d’Apple Music, déclare que “le succès du streaming est encore loin, ce qui existe aujourd’hui est insuffisant”.
D’après lui, les services autour de la musique sont la clé. Il faut recréer le lien entre l’artiste et l’auditeur en parallèle de la musique. Il faut proposer des contenus annexes, comme le font déjà certains artistes, et les pousser de la meilleure façon possible aux yeux et aux oreilles des consommateurs.
Ce sont des vidéos, des textes, des bonus, qui expliquent la genèse d’un morceau par exemple. Ce sont aussi des podcasts animés par l’artiste lui-même qui va partager son univers, son actualité, ses influences musicales. Apple veut emmener l’utilisateur dans un véritable voyage avec ses artistes préférés.
Jimmy Lovine ajoute : “nous avons de grands projets et une longue route pour y arriver, ça ne se fera pas en deux ans”. Rendez-vous dans quelques années pour vérifier ce que sera devenu le marché du streaming audio sur abonnement.
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