Article modifié le 27 janvier 2023
Après avoir conquis des centaines de millions d’abonnés à travers le monde, les principaux services de streaming musical misent désormais sur la qualité audio en généralisant le lossless. C’est-à-dire la qualité CD sans perte, comparativement aux formats compressés et destructeurs largement utilisés jusqu’ici. Sur le papier, cette qualité CD est une véritable avancée technique pour tous. Mais en réalité, une très grande partie des abonnés ne pourra pas en profiter.
Le CD existe depuis 40 ans et c’est toujours une référence
Jusqu’au début des années 80, la musique s’écoutait via les supports analogiques qu’étaient la cassette audio et le vinyle. Puis est arrivé le Compact Disc avec son stockage numérique et une qualité sonore supérieure. Attention, on rentre dans un sujet à forte teneur en polémique, avec les aficionados qui préfèreront toujours le vinyle quoi qu’il arrive. Techniquement, le CD est supérieur au vinyle par sa bande passante, sa dynamique et la séparation des canaux, ce qui est indiscutable.
Depuis, différentes pistes ont été explorée afin de poursuivre l’évolution avec la haute résolution (Hi-Res). Le CD en 16 bits et 44.1 kHz a été rejoint par le SACD, le DVD-Audio puis les fichiers en 24 bits / 192 kHz et supérieur, ou encore le DSD dans ses diverses itérations. Cependant, ces types de disques et de fichiers ne sont pas toujours faciles à trouver. Et a priori, on écoute de la musique plus que des enregistrements de démonstration. On découvre la musique à travers des styles, des groupes, des pays… Découvrir la musique en se basant uniquement sur sa résolution ou son taux d’échantillonnage n’a pas de sens. Sauf si l’on écoute le technique plus que la musique. Si c’est votre cas, désolé, cet article ne s’adresse pas à vous.
Bref, la qualité CD est largement suffisante pour tout le monde. Le plus important reste la façon dont a été enregistré et mixé un album avant de devenir un CD. Lorsque le travail a été bien fait, le résultat est très satisfaisant. Ce qui l’est moins, ce sont les CD n’ayant pas reçu autant d’attention. La qualité CD correspond aux attentes des personnes les plus exigeantes, même celles possédant un système HiFi très haut de gamme. D’ailleurs, les grandes références de la HiFi continuent à fabriquer des lecteurs CD.
La compression de la musique pour satisfaire aux besoins du débit Internet moyen
Le MP3 est né à la fin du siècle dernier. Il a été le déclencheur de la musique dématérialisée. Mais aussi du retour en arrière en termes de qualité. Le CD était bien établi partout dans le monde en ayant supplanté depuis longtemps la K7 et le vinyle. La découverte de la liberté grâce à Internet n’a pas eu seulement des bons côtés. Le CD transformé en fichiers MP3 a ouvert la voie au piratage de grande ampleur. A cette époque, l’ADSL et la fibre n’existaient pas. Quand on payait son abonnement au Mb consommé, le MP3 était tout simplement parfait : il compressait la musique dans un rapport de 1 à 20, avec des fichiers audio de 3 Mb seulement. Mais avec une perte de qualité importante, le MP3 était inférieur à la K7 audio !
La jeune génération découvrant la musique par ce biais s’est rapidement habituée à cette perte en échange d’un côté pratique indéniable. Pratique dans le sens de l’accessibilité mais aussi de la gratuité via le piratage. Les maisons de disque ont eu très chaud au début des années 2000. Elles se sont vite rendues compte que la musique dématérialisée était là pour durer et que le CD allait par ricochet entamer un long déclin.
Du MP3 en téléchargement légal au streaming
La première idée a été de créer des boutiques en ligne de fichiers MP3 légaux accompagnés de clés de cryptage appelées DRM afin d’éviter la redistribution. Une idée qui n’a pas trouvé son public. Pourquoi payer pour un fichier protégé alors qu’en quelques clics il était possible de trouver le même à pirater avec la même qualité audio compressée et non protégé ? Certaines solutions se sont alors placées dans des niches comme celle du haut de gamme avec des fichiers de qualité et toute une offre éditoriale. C’est le cas de Qobuz par exemple.
Au milieu des années 2000, le français Deezer et le suédois Spotify explorent la possibilité de rendre disponible la musique non plus en téléchargement mais en streaming. On ne télécharge plus rien, première étape pour rassurer les maisons de disque. Mais surtout, l’utilisateur a accès à un catalogue complet de millions de titres de façon illimitée en payant un abonnement mensuel pour une somme modique. Le piratage n’a alors plus aucun intérêt et tout le monde est content ! Lorsque Spotify lance son service officiellement en 2008 à 10 € par mois, il faut rappeler qu’un seul album CD coutait encore 12-15 €.
Le streaming a remplacé à la fois les CD et le téléchargement
Cependant, en 2008 le débit des abonnements Internet est encore faible, même si l’ADSL s’est beaucoup développé. Ces premiers services de streaming musical sont proposés en qualité équivalente au MP3 à 320 kbps pour les meilleurs, comme Deezer Premium par exemple. Un chiffre pouvant sembler suffisant car il correspond aujourd’hui encore à la qualité de la plupart des abonnements de streaming ! En tous les cas, cette limitation n’a pas eu d’impact sur le développement du streaming musical qui a dépassé tous les supports physiques en termes de revenus.
D’après le Syndicat National de l’Edition Phonographique, près de 30% des français utilisent un service de musique en streaming. Ces chiffres progressent continuellement, en France comme dans le monde entier. Au premier trimestre 2021, Spotify compte près de 356 millions d’utilisateurs en additionnant les utilisateurs payants et ceux de l’offre gratuite limitée avec publicité.
La qualité audio compressée n’a jamais été un frein au développement du streaming musical
Puisque les utilisateurs se contentent aisément du son compressé, il n’y a pas de demande d’amélioration de la qualité audio. Lorsque celle-ci existe, alors on résilie son abonnement Spotify ou Apple Music pour se tourner vers Qobuz ou Deezer HiFi. Ces derniers ont profité de l’amélioration de nos connexions Internet pour proposer dès 2011 des abonnements en qualité CD sans perte. Puis en 2015, le streaming en Hi-Res est arrivé, chez Qobuz comme chez Tidal. Cette offre s’adresse principalement aux passionnés équipés de systèmes audio permettant de profiter de l’écart qualitatif. Il est donc logique que le nombre d’abonnés soit bien moins élevé chez Qobuz et Tidal comparativement à Spotify ou Apple Music. Si l’on part de cette constatation, pourquoi les services restés en qualité compressée depuis leurs débuts décident de passer maintenant en qualité CD, voire en Hi-Res ?
Avant d’analyser les raisons ayant poussé Spotify, Amazon et Apple à passer à la qualité CD & supérieure, voici un récapitulatif de l’évolution des offres de streaming musical sans perte. Les autres services majeurs non cités dans ce tableau tels que YouTube Music, SoundCloud, Napster ou Pandora ne sont pas encore passés en lossless. Leurs offres restent en 2021 en format compressé destructif à 256 ou 320 kbps.
Historique des services de streaming en qualité CD et en Hi-Res
2011 | Qobuz est le premier à proposer la qualité CD lossless en streaming sur abonnement | |
2015 | Tidal est disponible mondialement pour 19,99 € en qualité CD et Hi-Res (24/192, format MQA) | |
2015 | Deezer lance Deezer Elite (19,99 €) en qualité CD, uniquement compatible avec les enceintes Sonos | |
2015 | Qobuz lance son service de streaming en qualité Hi-Res à 19,99 € (24/192, format FLAC) | |
2017 | Deezer Elite devient Deezer HiFi, toujours à 19,99 €, et se rend compatible avec toutes les enceintes | |
2019 | Amazon Music HD en qualité CD et supérieure (Hi-Res) est lancé fin 2019 à 14,99 € | |
2020 | L’abonnement Deezer HiFi passe de 19,99 € à 14,99 € | |
Février 2021 | Spotify annonce que Spotify HiFi sera lancé plus tard dans l’année sans annoncer de prix | |
Mai 2021 | L’abonnement Apple Music classique passe à la HD et à la Hi-Res sans surcoût, soit 9,99 € | |
Mai 2021 | Amazon baisse le prix de Amazon Music HD à 9,99 € |
La guerre des prix pour des offres semblables
Ce tableau nous montre une bataille sur les prix ou chaque service s’aligne sur les baisses de tarif de ses concurrents. Par exemple, lorsqu’Amazon a lancé son service Amazon Music HD en qualité CD et Hi-Res à 14,99 €, Deezer a baissé son offre en qualité CD de 19,99 à 14,99 €. Depuis ce mois de mai 2021, Apple Music vient tout chambouler avec une offre CD & Hi-Res à seulement 9,99 €. Réaction immédiate d’Amazon qui baisse son offre correspondante de 14,99 à 9,99 €.
Tout cela pose la question du coût pour une qualité donnée. S’il est possible de baisser le prix des abonnements aussi facilement, alors la musique en qualité supérieure n’a finalement pas une plus grande valeur. Surtout quand les catalogues de titres sont quasiment identiques d’un service à un autre. C’est ce que prouve Apple en incluant la haute qualité dans son offre compressée existante sans changer le prix de l’abonnement.
La compression destructive est finalement bien adaptée aux produits audio les plus vendus
La baisse de tarif des abonnements lossless pour passer de 19,99 € en 2015 à 9,99 € démontre le peu de valeur associé à la qualité audio des fichiers. Car au fond, est-ce bien si important ? Regardons le marché de l’audio. Les consommateurs achètent aujourd’hui principalement des mini enceintes Bluetooth, des barres de son et des casques Bluetooth sous toutes leurs formes. Autant de produit difficiles à qualifier de HiFi. Certains de ces produits ne sont pas capables techniquement de retranscrire la différence de qualité entre un son compressé avec perte d’un son compressé sans perte.
C’est l’une des raisons expliquant l’acceptation de la qualité compressée avec perte des offres de streaming musical. Ce n’est pas la seule. Une autre explication est liée aux capacités de discrimination de l’oreille. Le travail de compression de la musique est souvent parfaitement exécuté. Si bien que la plupart des consommateurs, même les plus expérimentés, ne font pas la différence entre un fichier compressé avec pertes et un fichier lossless en qualité CD.
Etes-vous capable de différencier un fichier lossy d’un fichier lossless ? Pas sûr…
Car en réalité, sans un effort volontaire, il est très compliqué de faire cette différence ! Vous trouverez beaucoup d’amateurs passionnés affirmant être capables de faire la différence 100% du temps et qui, lors d’un test à l’aveugle, se trompent sur toute la ligne. Pour une oreille exercée, ces différences existent réellement. Mais il faut de l’expérience et du matériel de qualité suffisante pour pouvoir l’entendre.
Cela dépend aussi de la façon dont on écoute la musique. Beaucoup de personnes n’ont que faire de la qualité de l’enregistrement comme de la qualité du reproducteur acoustique. Ils écoutent ou ressentent certains éléments de la musique pour lesquels le degré de qualité de restitution a finalement peu d’importance.
Tout cela vient confirmer le peu d’attente du grand public pour la qualité CD. Les experts rétorqueront que tout est question d’éducation : si l’on donne de la mauvaise qualité, tout le monde s’en satisfait, et si l’on explique qu’il y a mieux, plus personne ne voudra revenir en arrière. C’est un noble combat jamais perdu, mais les faits permettent d’en douter.
Le streaming qualité CD pose un problème de débit… et de batterie !
Mais en réalité, cela pose un premier problème, celui de la bande passante. Car un morceau en qualité CD nécessite quatre fois plus de débit qu’un morceau compressé avec perte. C’est problématique pour ceux bénéficiant d’un accès Internet très limité, ou utilisé par plusieurs membres de la famille simultanément, et pour ceux écoutant la musique en déplacement avec un forfait 4G. C’est aussi un problème pour les casques Bluetooth : plus la qualité est élevée, plus la batterie se vide rapidement.
Vous conviendrez que ces cas de figure sont assez courants et représentent une part de la population abonnée non négligeable. Justement, Apple l’a bien compris car il sera possible d’activer ou non la qualité CD lossless selon son besoin ou ses envies. Et encore, je n’ai pas parlé de la qualité Hi-Res, toujours moins économe en batterie et inaccessible en mode Bluetooth à la plupart des casques, même les modèles Apple ! Toutefois, d’après DigitalTrends, Apple pourrait travailler sur un nouveau protocole Hi-Res en Bluetooth.
Vendre du streaming pour vendre plus de produits audio et de services associés
Vous remarquerez que les deux services ayant bradé le prix de la qualité CD proviennent de deux sociétés dont l’objectif premier est de vendre du matériel plus que du logiciel : Apple et Amazon. Tous deux proposent également dans la même offre de streaming lossless de la musique en son 3D, dont on profitera avec les casques Apple, les enceintes Apple ou les enceintes Amazon compatibles bien évidemment.
Apple et Amazon n’ont pas forcément besoin de gagner de l’argent avec le streaming grâce à leurs autres activités. Contrairement à Deezer, Qobuz, Spotify et Tidal qui n’ont pas ce luxe. Ces deux géants ont même la possibilité inédite de pouvoir associer plusieurs de leurs services :
- l’abonnement Apple One comprenant Apple Music, Apple TV+ et le stockage iCloud
- Amazon ne le fait pas encore mais une offre globale Amazon Music, Prime Video et Audible pourrait très bien voir le jour
L’intérêt des abonnements haut de gamme plus chers
Tous les services de streaming proposant plus ou moins les mêmes catalogues de dizaines de millions de titres, comment se différencier en dehors prix ? Nous sommes désormais sur un marché mature, dans une phase où les acteurs du streaming vont devoir retenir leurs abonnés en affaiblissant leurs concurrents. Les casques et les enceintes, les offres combinées, la qualité CD, Hi-Res et le son 3D sont autant d’atouts pour Apple et Amazon.
Si l’on accepte le peu d’intérêt du lossless pour la grande majorité des utilisateurs, il semblait plus pertinent de poursuivre la commercialisation des offres lossless à un coût plus élevé. Parce que les utilisateurs concernés possèdent du matériel d’écoute de qualité et sont donc prêts à mettre un peu plus cher dans leur abonnement. N’oublions pas que ces mêmes personnes achetaient auparavant plusieurs CD chaque mois ! Dépenses qu’ils ne font plus.
(…) qu’on baisse le prix de la haute qualité sonore en l’alignant sur le prix du MP3, quand il existait, à l’évidence, un consentement à payer, et donc de l’argent à aller chercher auprès des amateurs de haute-fidélité ? Ça s’appelle de la destruction de valeur.
Yves Riesel – couacs.info
Le streaming qualité CD ne règle pas le problème de la rétribution des artistes
Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les artistes non plus. Régulièrement, des articles et des reportages dénoncent le peu de revenus pour les artistes générés par le streaming. Arte a dédié un épisode de Tracks à ce sujet en avril 2021 : Streaming musical : bénédiction ou malédiction pour les artistes. Même si la différence de 5 € ne change pas le business model, il serait toujours préférable de payer 14,99 € plutôt que 9,99 €, les artistes en tireraient un meilleur bénéfice.
Pire encore, il faut savoir que les fichiers de haute qualité coûtent plus cher à stocker. Forcément, ils prennent plus de place. Ce coût est répercuté aux labels, qui reçoivent donc en retour moins de revenus sur les titres lossless et Hi-Res. Ce sont encore moins de revenus au final pour les artistes.
Apple et Amazon proposent lossless et Hi-Res sans augmentation de prix. Peut-être ne répercutent-ils pas le coût supplémentaire du stockage sur les labels, car ils ont les moyens de le prendre en charge. C’est tout à fait possible. Cependant, Deezer Hifi, Tidal et Qobuz n’ayant pas ces capacités, ils vont avoir beaucoup de difficultés, si ce n’est l’impossibilité de s’aligner.
Finalement, qui se soucie de l’audio lossless ?
Alors pourquoi tous les services de streaming musical auparavant compressés avec perte proposent désormais une offre en qualité CD ? Tout simplement car nous sommes dans un monde évoluant en permanence. Faisons le parallèle avec les téléviseurs. Ils sont passés de la HD à la Full HD, puis à la 4K et maintenant à la 8K. Le tout en marche forcée. Pourtant, la plupart des gens regardent la TNT compressée et l’offre 4K est très peu accessible, tant en termes de supports physiques qu’en streaming vidéo lorsque l’on n’a pas la chance d’avoir la fibre.
La qualité lossless CD semble être une évolution naturelle de la musique dématérialisée. On n’en a pas forcément besoin, ou bien on n’a pas le matériel pour en profiter. Ce n’est pas grave, on nous l’impose. Pourquoi pas. Surtout si le prix reste le même, comme c’est le cas chez Apple Music et Amazon Music.
Ceux pouvant en profiter en profiteront, les autres ne s’en soucieront pas. Quel que soit votre service préféré, au moins vous avez le choix maintenant. Mais la qualité CD lossless n’est pas encore prête de faire disparaître le streaming compressé destructif en MP3, OGG ou AAC.
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Je suis bien content d’etre sorti de l’epoque où on branchait son baladeur mp3 ou son pc en mini jack à sa chaine hifi. Mais je sais, c’est fini ce temps là et votre questionnement porte sur le monde actuel
Il faut savoir que toutes les chansons ne se trouvent pas en streaming et que parfois on ne trouve pas la « belle version » originale mais la version live par exemple.
J’aime bien les cd, insérer un objet dans le lecteur, M’installer dans le noir 😴 et me consacrer à son écoute uniquement, c’est une belle expérience ! Dans ce cas la qualité est pour moi très importante.
J’utilise le streaming lorsque je veux avoir de la compagnie, là, la qualité est moins importante et je mets sur lecture aléatoire, une journée musicale sans publicité ni infos, le rêve ! 😊
Je n’ai pas réussi à avoir l’ équivalent de mon lecteur cd en streaming, mon récepteur Bluetooth n’offre pas la qualité suffisante. Pour avoir la qualité optimale, faut-il du matériel relié par câble à un dac ? 🤔
Effectivement, tout n’est pas présent sur les plateformes de streaming. Pas seulement des belles versions ou des lives spécifiques, mais la discographie de certains artistes est absente en partie ou en totalité.
Pour obtenir une qualité équivalente au CD en streaming, il faut privilégier un lecteur réseau de qualité, soit équipé d’une partie conversion qui vous convient, soit relié derrière un DAC.